Le laché de Didier Menras

Ce 30 août, journée de fin de saison plutôt maussade, le plafond faiblissait à 800m sol, couvrant notre espace d’évolution à 7/8. L’activité sur le terrain était faible, seuls quelques irréductibles demeuraient inlassablement sur la charrette du tractosaure.

Voilà trois mois que mes week-ends sont consacrés à ma formation planeur : 35 heures de vol, une quarantaine d’atterros.

Je peux encore entendre les « C’est pour bientôt le laché ? » ou « les instructeurs n’ont pas envie de sacrifier un piège ? »…Mon impatience se forge malgré ma conscience du Tout va bien pour qui sait attendre. Voir et envier tous ces oiseaux de plastique évoluer librement donne forcément des ailes. La saison se termine et mes espoirs d’être lâché et breveté cette année s’envolent.

Ce vendredi, je profite du peu d’amateurs pour perfectionner mes réflexes et mon tour de piste en compagnie de mon plus fidèle instructeur. Le premier vol est OK, mon circuit visuel extérieur doit néanmoins être amélioré et plus efficace (il ne l’est jamais assez…).

Compte tenu qu’il me reste un ticket de remorqué avec le taxi en piste et que le premier vol m’avait laissé sur ma faim, je décide d’une autre petite ballade en local histoire de narguer les quelques villageois verticalement voisins. Et hop ! C’est reparti ! avec pour consigne d’exécuter mon vol comme si j’étais seul à bord (pas si simple…)…Jean Paul peu soucieux pour sa sécurité apparemment, s’était décidé à faire sa dernière ballade de la journée. Ayant le flair des plus affûtés ces derniers temps, son attitude et l’exercice peu commun à mes derniers vols trahissait un secret qu’il me révéla peu après. Mais ils n’en dit pas un mot, au contraire : Comme tu as l’air de te débrouiller, on fait quelques vols comme ça et on verra ensuite pour ton premier vol solo. Soit, on y va : décollage, remorquage, Vz négatives, PTL et atterro, tout ça en 15 mn malgré une pompinette incentrable, sauf par JPN, mais pas de chance il n’était que passager ! A peine arrêter sur la 09, Jean Paul me glisse un mot avant de débriefer, à la fois curieux et responsable « Tu veux faire un vol tout seul ? » « Et comment ! » lui dis je.

Conscient de l’évènement qui se profilait, mon impatience et ma joie se mêlèrent à l’appréhension : étais-je prêt ? Jusqu’à ce jour, je pensais que oui, la décision de JPN me conforta dans cette idée, connaissant son perfectionnisme pour la sécurité. Plus le temps de réfléchir, l’hélice du DR400 tourne, il s’aligne, comme impatient de démarrer cette course poursuite dont son pilote sort toujours vainqueur. Je m’installe sans précipitations, CRIS OK, pas de réponse du passager aux ckecks, première différence. Ma joie mêlée au stress léger mais nécessaire, ne peut contrôler un certain tremblement de ma voix pour l’essai radio. « 5 » me répond Hotel India, me demandant comment il a pu comprendre. Encore quelques secondes avant le lever de pouce fatidique pour intégrer et répéter le décollage et les procédures d’urgence. Ca y est, je lève mon pouce se dresse, JPN répond d’un soulèvement de l’aile des plus amicales, ma bille se stabilise au centre, dernières secondes à l’arrêt. Soudain, le sifflement du vent laisse place au vrombissement des 180 ch du taxi, le souffle de l’hélice chasse mon fil de laine, le sol commence à bouger. Le DR400 et le badin fixe mon attention… JPN a lâché l’aile depuis longtemps maintenant, mon sort est entre mes mains…Je tire doucement le manche, la mise en palier est immédiate. Le DR400 semble suivre mes intentions, prise de vitesse, montée à 120 km/h. Le sol s’éloigne…Viennent les 500m Fox Echo, il est temps de couper le cordon ombilical, la liberté se dessine après le battements d’aile de l’oiseau mécanique…Nous y voilà, le contrôle du piège m’est familier, quelques virages à gauche puis à droite, quelques cris aussi pour partager ma joie avec le peu d’intrus volants non identifiés, petite tentative de surfer sur du 0 m/s, mais déjà la hauteur de décision semble attirer irrémédiablement les aiguilles de mon altimètre. Le décollage était optionnel, mais l’atterrissage devint obligatoire. Tout Va Bien, je me place en vent arrière et je m’annonce sur chaque branche. Dernier virage à inclinaison et symétrie contrôlée, le piège glisse sur la finale, les paramètres stables. Les AF à mi-efficacité, la piste m’attire telle un aimant sur le point d’aboutissement si chèrement désiré. Y aurait-il la main de JPN tenant Tango 55 tel qu’un pantin ? Le contact se profile, je ramène le manche au corps pour cabrer mon étalon salutairement. L’horizon fuit, la gravité avale lentement les quelques centimètres de liberté qu’il me reste, en douceur. Le roulage rappel le manque de confort terrestre, il est temps de s’immobiliser sur la 09 qu’on s’approprie en vainqueur. « Tango 55 quitte la fréquence », mon pouce évitant de justesse un cri de satisfaction sur les ondes de la Brie. A peine sorti, j’aperçois Jean Paul courant plus vite et surtout plus loin que pour la prise d’élan du planeur, ce qui me fait immédiatement prendre conscience de l’évènement : « Me voilà lâché ». Après quelques échanges sur le point de vue terrestre de mon vol et mes sensations, je rejoins les quelques spectateurs mais aussi pour certains complices qui s’avancent pour me féliciter, comme pour m’accueillir dans leur famille, ce qui m’emplit de fierté. Ensuite, vient le temps de nettoyer ma monture, comme jamais, comme pour la remercier de m’avoir soutenue et d’avoir été docile durant ces 30 heures de vols communes.

La journée se termina comme elle avait commencé, entre histoires de vols, expérience partagées et récits d’une passion collective. Déjà se présage l’amadouement du fiston, Roméo 14, friand de rodéo sur la piste planeur, qui je l’espère me permettra de flirter avec cette troisième dimension si passionnante.