L’année 2020 aura été marquée par des moments intenses et inoubliables, comme ce vol incroyable du mois de Juillet.

Ce week-end-là, nous étions nombreux à nous être inscrit sur le planning du club pour profiter des conditions météos intéressantes annoncées. Dès le début de semaine, les modèles prévoient une journée nettement meilleure que la moyenne, celle du samedi. Et en effet, au fil des jours, les prévisions se précisent et laisse entrevoir, ce que l’on appelle dans notre jargon, une journée « fumante », une journée qui promet de beaux circuits.

Avec ce confinement qui ne nous a pas permis de profiter du début de saison – avec en plus une météo dantesque presque tous les jours – nous sommes nombreux à vouloir réaliser un circuit ce fameux samedi et il faut déjà réussir à se trouver un planeur monoplace la veille !

Chose pas simple mais pas impossible avec un peu d’organisation et l’immense générosité d’un pilote privé du club (Monsieur HARTMANN pour ne pas le citer) qui m’autorise à lui emprunter sa machine.

Les détails logistiques réglés, c’est donc avec une grande joie que je prépare soigneusement ce magnifique Ventus C de 17,6mètres d’envergure (oui c’est précis). C’est un planeur d’ancienne génération mais qui se respecte encore largement grâce à ses performances honorables.  C’est l’effervescence pour sortir les machines, aujourd’hui tout le monde souhaite décoller tôt !

Après avoir ballasté les ailes (on ajoute de l’eau dans les ailes du planeur pour l’alourdir et améliorer ses performances en vol) et préparé le cockpit avec lequel je vais devoir me familiariser, le planeur est placé en piste avec les autres. J’ai la chance de pouvoir décoller en première position aujourd’hui.

Bien que sceptiques jusqu’à 10h30 sur les conditions météorologiques, nous apercevons soudain un puis plusieurs cumulus au loin. Puis le ciel change rapidement et se charge en une quantité parfaite de ces petits nuages que nous chérissons tant. Branle-bas de combat ! Il faut décoller le plus vite possible si on ne veut pas perdre de temps.

Juste avant de décoller, nous définissons le circuit de jour en concertation avec Anaïs. Nous avions au départ prévu un circuit d’environ 600km mais après tout, pourquoi ne pas tenter plus ? J’étire un point de virage par ci, un autre par là… Même si cela impressionne au sol, c’est la journée pour tenter le circuit de 750km en but fixé. C’est un jalon dans la vie d’un pilote de planeur, au même titre que le premier vol solo ou le brevet de pilote.

Nous irons donc virer Avallon à 160km au sud, en Bourgogne, puis faire route au Nord, pour virer l’aérodrome de Cambrai, dans le département du Nord pour enfin tourner un point à 50km à l’est de Châlons-en-Champagne et finalement rentrer à Coulommiers.

Tendu-tendu !! C’est parti pour le décollage au treuil, il est 11h05. Pas mal... Les premières minutes sont destinées à la prise en main de ce nouveau planeur pour moi dans la première ascendance. Les sensations sont bonnes, les conditions aussi ! Anaïs décolle derrière et me rejoint rapidement. Il ne faut pas perdre de temps et nous décidons aussitôt de prendre le départ vers le sud. La porte (virtuelle, de départ) est franchie à 11h17. On est dans le timing, c’est bon. Dans ma tête trottent les 7h30 minimum qu’il va nous falloir pour boucler ce circuit, et encore, il faut tourner à 100km/h de moyenne.

Heureusement, les ascendances sont fortes et faciles, les cumulus sont présents pour nous baliser le chemin et permettent déjà de voler assez haut (1500m) malgré l’heure matinale. Nous passons la Seine vers 11h45, sereinement. A cet endroit les conditions peuvent souvent changer très rapidement, il faut rester attentif. Néanmoins aujourd’hui tout semble aller pour le mieux ! Je navigue à 160km/h en transition, pas trop rapidement pour privilégier des longs planés de 20 à 30km sur cette première partie, sans perdre trop d’altitude. Dans ce type de vol, il est important de ne pas voler bas trop vite, c’est l’assurance de perdre du temps pour retrouver une ascendance, parfois mal formée le matin, voire se vacher !

Je passe travers Auxerre à 12h25, un coup d’œil au calculateur, 112km/h de vitesse moyenne ! C’est rassurant pour la suite mais je garde en tête que j’aurai indéniablement le vent de face sur la branche montant vers le Nord, ce qui me ralentira forcément. Les conditions deviennent franchement bonnes plus au Sud, ce qui me permet d’accélérer encore. Les volets en négatifs, le Ventus C file maintenant à 180km/h. Avallon arrive bientôt en vue et est « tourné » sans encombre, il est 12h45.

Cap au Nord, vent de face, il faut à tout prix éviter les erreurs tout en maintenant ce bon rythme, bien cheminer sous les nuages, trouver les lignes d’énergie vous faisant perdre le mois d’altitude possible. Tout se passe bien jusqu’au niveau de Troyes, où je dois alors adapter le vol aux conditions plus changeantes. Les ascendances sont moins franches, les nuages plus espacés. J’enchaine plusieurs longues transitions pendant lesquelles je ne trouve pas mon bonheur. Résigné à prendre des thermiques moins forts pour continuer d’avancer, je prends enfin un très bon 4m/s assez bas, au bord du plateau de Sézanne ; au-dessus des vignes. Remonté jusqu’à 1800m, cela me permet d’aborder sereinement la zone plus humide qui s’annonce au Nord de Reims, avec des étalements et plus d’ombre que de soleil.

Bien m’ait pris de recoller au plafond ! Les conditions sont effectivement plus molles dans cette région, entre Reims et St-Quentin. Les cumulus sont très espacés et ne permettent pas la sélection des ascendances. En rater une c’est l’assurance de se retrouver franchement bas au prochain cumulus 20km plus loin. Le doute s’installe, la vitesse moyenne s’est effondrée à 98km/h travers Laon et il est alors déjà 15h20. Avec peu de visibilité vers l’avant, est-ce qu’il va être possible de virer Cambrai ?

Un alignement salvateur à St-Quentin me permet d’entrevoir l’avenir plus sereinement. Je recolle au plafond des nuages sans spiraler, sans m’arrêter. C’est vraiment ce qu’on recherche en planeur, monter tout en avançant, sans moteur ! la quantité d’énergie qui peut circuler dans l’atmosphère est insoupçonnable.

Je continue sur cette lancée jusqu’à Cambrai, atteint rapidement. C’est vraiment le Texas dans le Nord !

BIP. Le point est tourné m’annonce le GPS. Direction le dernier point de virage. Un check à la montre, il n’est même pas 16h mais il reste encore 350km à parcourir. C’est un peu comme se dire qu’on vient de décoller à 16h et qu’on doit boucler un circuit de 350km, alors que la fin de convection est annoncée dans 3 heures, ça fait bizarre…

Heureusement, un alignement s’est formé sur la route du Sud, à 30 degrés de la route directe. Même si l’écart de route peut paraitre important, je fonce sous les cumulus qui donnent uniformément des ascendances larges et me remontent progressivement vers leur base. A 1800m, 170km/h, il devient alors aisé d’anticiper la suite, un nouvel écart me ramènera vers la route, sous un autre alignement dont je vais profiter au maximum avant de braquer presque complètement à gauche, vers le dernier point de virage. Cette partie, plus paisible, est la bienvenue, étant donné la gestion des espaces aériens militaires qu’il faut avoir autour de Reims et Châlons-en-Champagne. Le 3eme et dernier point est viré au terme d’un long plané, qu’il me faut prolonger de nouveau vers l’ascendance la plus proche située à environ 15km. L’air calme est enfin perturbé par les bouillonnements d’une ascendance espérée, et me voilà de nouveau avec 2m/s de montée.

Une, deux puis une troisième ascendance m’amène lentement sur le plan d’arrivée final ; cet angle de plané qui nous assure de rentrer à la maison en toute circonstance. Depuis le km50 de Coulommiers, je laisse glisser la machine qui évolue au gré des poussées positives et des descendances. La vitesse accélère gentiment jusqu’à la ligne d’arrivée proche du terrain. Ça y est ! Les 750km ont été avalés en un peu moins de 7 heures, soit une vitesse moyenne de presque 108km/h. Il est 18h15, quel étonnement, il aurait été possible de faire bien plus, mais ça c’est que l’on se dit presque à chaque fois.

Je laisserai cela pour un autre jour. Retour sur la terre ferme, quelle sensation d’avoir accompli ce vol incroyable. Cela aura été véritablement plaisant de relier l’ile de France à la Bourgogne puis la Bourgogne au département du Nord pour enfin revenir à 40km de Paris. Tout cela avec uniquement l’énergie naturellement présente dans l’atmosphère, générée par l’échauffement des sols par le soleil et à peine quelques litres d’essence pour le décollage.

La prochaine étape sera le circuit de 1000km comme prévu.